🧶 Le délaineur de Mazamet
La laine du monde entre des mains du Tarn
Au cœur du Tarn, à Mazamet, la laine fut bien plus qu’une industrie : elle fut une respiration.
Pendant plus d’un siècle, le bruit des courroies, le souffle des brosses et la vapeur des chaudrons ont rythmé les journées d’hommes et de femmes dont les gestes se transmettaient comme une langue maternelle.
C’est ici qu’est né un métier unique au monde : le délainage, cet art d’extraire la laine du cuir sans en abîmer ni la fibre ni l’âme.
🌍 Les peaux venues de loin
Dès le milieu du XIXᵉ siècle, Mazamet devient le cœur mondial du délainage, cette technique apparue autour de 1850.
À son apogée, entre 1880 et 1930, la ville reçoit chaque année plus de 100 000 tonnes de peaux lainées venues d’Argentine, d’Australie et d’Afrique du Sud.
Ces ballots traversent les océans, chargés d’odeurs de sel, de suint et de voyage.
À Mazamet, ils trouvent leur destin.
Sous les toits d’usine et dans la brume du Thoré, les ouvriers ouvrent ces paquets venus d’ailleurs.
Chaque balle de laine raconte une histoire géographique, chaque fibre une mémoire du monde.
✋ Le geste ouvrier : le délainage
Le délainage est un travail de précision, de patience et d’odorat.
On sépare la laine du cuir, dans un équilibre subtil entre la vapeur et la lame.
Sous la chaleur, les mains guident le geste — ni trop vite, ni trop fort — pour ne pas déchirer la matière.
Le cuir, nettoyé, part vers d’autres industries ; la laine, elle, reprend vie sous d’autres formes.
C’était un art manuel, un savoir-faire qui ne s’apprenait qu’au contact du métier, dans la buée des ateliers.
En 1900, on estime à plus de 2 500 ouvriers et ouvrières ceux qui travaillent dans le délainage et les activités connexes : tanneries, peignage, transport ou mécanique.
Le geste du délaineur, souvent appris dès 14 ou 15 ans, se transmettait de père en fils — ou d’oncle à neveu — comme un héritage manuel.
⚙️ Le lavage, le tri, la transformation
Autour du délaineur, d’autres gestes s’enchaînaient : laver, trier, carder, peigner, expédier.
La poussière collait à la peau, la laine volait jusque dans les cils.
Les journées étaient longues, rythmées par le grondement des machines.
On disait qu’à Mazamet, même l’air travaillait.
🏠 Les familles et les cités ouvrières
Dès 1890, les industriels de Mazamet construisent des cités ouvrières autour des filatures, notamment dans les quartiers de la Lauze et de la rue Saint-Sauveur.
Ces maisons en briques, souvent alignées par rangées de dix ou vingt, abritent des familles entières — parfois trois générations sous le même toit.
Dans ces ruelles, la solidarité se vivait au quotidien : on partageait le pain, la lessive… et les nouvelles de l’usine.
Les enfants grandissaient au son de la sirène ; les femmes, souvent, travaillaient à domicile pour compléter les revenus.
Le travail, la famille et la communauté formaient un seul et même tissu social.
👩 Les femmes de l’ombre
Elles triaient, lavaient, raccommodaient.
Souvent invisibles dans les archives, mais indispensables à la chaîne de production.
Leur travail exigeait autant de minutie que d’endurance.
Sans elles, pas de laine propre, pas de matière à filer.
Et pourtant, leurs noms s’effacent souvent derrière ceux des contremaîtres ou des patrons.
Il est temps de les rappeler.
🔇 La fin du bruit
À partir des années 1970, la concurrence étrangère et la chute du marché de la laine bouleversent tout.
Le dernier grand atelier ferme ses portes au début des années 1990, marquant la fin d’un cycle de plus d’un siècle d’activité.
Les machines se sont tues, les fils se sont coupés.
Mazamet a vu s’éteindre son âge industriel, laissant derrière elle des friches, des souvenirs et des odeurs de suint qui semblaient flotter encore.
Mais la mémoire, elle, continue de tisser.
Dans les archives, les photos, les généalogies familiales, le souffle des ateliers perdure.
📣 Appel à mémoire
Vous avez eu un parent, un grand-parent, un voisin qui travaillait au délaineur ?
Racontez vos lignées du délainage.
Partagez vos histoires, vos documents, vos souvenirs.
Ensemble, tissons la mémoire ouvrière du Tarn.
🧶 Envie de poursuivre le fil ?
Découvrez bientôt notre nouvelle série Versus : quand les noms, les métiers et les mémoires du Tarn se répondent.
(Premier épisode : Lefebvre ⚔️ Alibert – Picardie vs Tarn)
Par Andrée, généalogiste du fil et de la mémoire ouvrière.